El Nino : l'enfant terrible du Pacifique
El Nino est une anomalie chaude des eaux de surface de l’océan Pacifique, s’étendant entre l’Australie et les côtes péruviennes, qui provoque une augmentation sensible des températures planétaires et influence les conditions météorologiques sur toute la zone intertropicale. Bien que son nom soit largement médiatisé, connu et surtout redouté, le mécanisme d'El Nino est complexe, et demande quelques rappels et approfondissements.
La zone intertropicale de l’océan Pacifique recouvre une superficie géographique telle que les échanges entre la surface de la mer et la basse atmosphère y sont très importants et permanents. Cette interaction, appelée « couple océan-atmosphère » constitue un élément fondamental des principes climatiques de notre planète. Les vents influencent le comportement de la basse atmosphère, laquelle se répercute également sur l’océan. Les paramètres les plus importants mis en jeu sont les températures de l’air et de l’eau, ainsi que les précipitations, qui s’égrènent tout le long de la zone intertropicale sous forme d’un alignement de cumulonimbus, les nuages d’orages.
El Nino, quelle est la différence avec La Nina ?
ENSO : situation normale dans le Pacifique © La Chaîne Météo
Ce phénomène permanent d’interaction « océan-atmosphère » est connu sous l’appellation d’ENSO (pour : « El Niño* et Southern Oscillation** », en français oscillation australe). Ce mécanisme connait des fluctuations périodiques, d’une durée de 1 à 3 ans, et d’une période de retour de 2 à 7 ans. Lorsque les vents, appelés alizés sous ces latitudes, soufflent de l’est vers l’ouest au-dessus de l’océan Pacifique, on parle d’une année normale, ou neutre. Lorsque cette situation s’accentue dans le même sens, on parle de phase « la Niña*** », et lorsque les alizés s’inversent totalement pour souffler de l’ouest vers l’est, on parle de phase « El Niño ». Cette variabilité a de profondes répercussions sur l’évolution des températures de l’eau et de l’atmosphère, avec des conséquences sur la pluviométrie des zones géographiques alentours, en particulier l’Amérique du Sud d’un côté, et l’Australie de l’autre.
Qu'est-ce que le phénomène El Nino
le phénomène El Nino dans le Pacifique © La Chaîne Météo
le phénomène El Nino dans le Pacifique © La Chaîne Météo
Au sein du mécanisme global de l’ENSO, la phase El Niño désigne l’anomalie chaude des eaux de surface de l’océan Pacifique. Cette phase est caractérisée par le renversement des alizés qui soufflent alors de l’ouest vers l’est, c’est-à-dire de l’Australie vers l’Amérique du Sud, en particulier le Pérou. Ce renversement est provoqué par des variations de la pression atmosphérique entre les deux extrémités de l’océan pacifique, notamment par une moindre différence de pression, ce qui entraine l’affaiblissement des vents.
En situation « normale », les alizés soufflant de l’est sud-est poussent les eaux chaudes de surface de l’est vers l’Australie et surtout vers la Nouvelle-Guinée et la Papouasie, ce qui influence toute la zone indonésienne, avec pour conséquence un climat humide et chaud, très pluvieux. À l’opposé, du côté de l’Amérique du Sud et en particulier au large du Pérou, les alizés poussant les eaux chaudes vers le large, provoquent des remontées d’eau froide : ce phénomène appelé « upwelling », a pour conséquence un temps sec et relativement frais.
EL NIno - La Nina : les différences © La Chaîne Météo
Lorsque le phénomène s’inverse, engendrant la phase « El Nino », les conditions climatiques s’inversent aussi : la zone indonésienne et australienne devient plus sèche, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’agriculture et le développement des incendies de forêt par exemple. À l’opposé, l’Amérique du Sud subit des pluies diluviennes avec des températures plus élevées, avec des intempéries qui peuvent aussi concerner les zones périphériques, jusqu’au Mexique, voire jusqu’en Californie, vers le nord.
Quelles sont les conséquences ?
El Nino : conséquences planétaires © La Chaîne Météo
Les conséquences d'El Nino ne se concentrent donc pas que sur la zone intertropicale de l’océan Pacifique. En apportant un air plus chaud et chargé en humidité le long de la côte est du Pacifique, il engendre des pluies diluviennes à l’origine d’inondations et de glissements de terrain dans le nord du Chili, au Pérou et en Équateur. À l’autre bout du Pacifique, l’Indonésie, l’Australie ainsi que le sud-est de l’Afrique subissent des grandes sécheresses et des incendies de forêt. Parallèlement, le Pacifique nord-est (Hawaï et la Polynésie française) subit davantage de cyclones de forte puissance. En revanche, les saisons cycloniques sont plus faibles dans l’océan Atlantique, car les phases El Nino correspondent à des phases froides dans l’Atlantique, ce qui inhibe leur formation.
Les masses d’eau océaniques mises en mouvement sont colossales, les alizés poussant les eaux chaudes vers l’est, tandis qu’elles se refroidissent à l’ouest. La surface de l’eau de l’océan Pacifique est également rehaussée d’une vingtaine de centimètres vers l’est, et abaissée d’autant vers l’ouest, ce qui n’est pas sans conséquence sur la pêche, avec une moindre quantité de poissons, car les apports en nutriments dans les eaux d’Amérique latine diminuent. En outre, les eaux chaudes fragilisent les récifs coraliens des îles Galapagos.
El Nino en France, quelles conséquences ?
Pour la zone tempérée, les conséquences sont moins marquées que sur la zone intertropicale, mais il existe des corrélations climatiques. Ainsi, les hivers sont plus doux au Canada pendant les phases El Nino, et particulièrement humides dans le sud des États-Unis, de la Californie au Texas et à la Floride. En Europe, les effets sont plus minimes. D’une façon globale, les précipitations sont plus abondantes sur le bassin méditerranéen ainsi que sur le nord de l’Europe. Le jet stream étant plus dynamique, les dépressions de l’Atlantique nord sont plus vigoureuses, synonyme de temps perturbé. En revanche, pendant El Nino, les hivers peuvent être aussi bien froids que doux, et les étés généralement chaud et orageux, notamment en France.
Enfin, l’une des empreintes caractéristiques d’El Nino est l’augmentation sensible des températures planétaires. La vaste superficie concernée dans l’océan Pacifique (presque un quart du globe) est telle que ce réchauffement se répercute sur la moyenne mondiale lors des années El Nino. Jusqu’à présent, les années les plus chaudes se sont produites pendant El Nino (1983, 1988, 1998 et 2017).
Le réchauffement climatique va-t-il renforcer les épisodes El Nino ?
Force est de constater que les épisodes El Nino se sont multipliés depuis 2015, et ils ont surtout entrainé une augmentation de plus en plus nette des températures planétaires. Cela peut s’expliquer par le réchauffement des océans, qui, par inertie, accumulent la chaleur, ainsi que par le réchauffement global. Mais il n’y a pas de consensus actuel concernant le rôle du réchauffement climatique sur l’apparition des phases El Nino.
La recherche scientifique est active en ce domaine, et laisse apparaître, grâce aux paléo archives, que des épisodes El Nino se produisaient déjà lors de périodes froides pendant le Petit Age Glaciaire. D’autres études indiquent cependant que les principaux évènements extrêmes survenus depuis l’An 1525 se sont produits au XXème siècle, avec une accélération dans les dernières décennies. Enfin, une étude parue dans «Nature » en 2017, se basant sur de la modélisation, indique que la fréquence des évènements El Nino pourrait doubler avec un réchauffement climatique de +1,5°C.
El Nino, surnommé « l’enfant terrible de la météo », est certainement le phénomène climatique le plus redouté de la planète en raison des catastrophes qu’il entraîne et qui s’enchaînent par « effet domino ». Si le rôle du réchauffement climatique n’est pas encore établi, il n’en demeure pas moins que les épisodes El Nino sont en accentuation ces dernières décennies, et qu’à chaque fois, le niveau des températures planétaires dépasse le précédent épisode. Dans ce contexte, le nouvel El Nino qui démarre et s'intensifie en cette année 2023, confirmé par l'Organisation Météorologique Mondiale (OMM) dans son bulletin du 3 mai, pourrait entraîner une flambée supplémentaire du thermomètre, susceptible de battre l’année 2016, date du dernier « super El Nino ».
* Le terme El Nino a été inventé par les pêcheurs péruviens, qui s’apercevaient, dans le passé, que ce courant chaud survenait souvent à la période de Noël (référence à « l’enfant Jésus »), apportant de très mauvaises conditions météorologiques avec des pluies torrentielles, et un effondrement de la productivité marine et donc de la pêche.
**Le terme « d’oscillation australe » a été inventé dans les années 1920 par un officier britannique, Sir Gilbert Walker, qui s’aperçut que des variations de pression atmosphérique se produisaient aux deux extrémités de l’océan Pacifique équatorial, avec des effets météorologiques opposés, ce que l’on appelle une « téléconnection ».
***Enfin, le terme « La Nina » est venu bien plus tard, pour nommer la phase inverse d’El Nino, c’est-à-dire une accentuation de la phase neutre vers le froid.
Références utilisées pour la rédaction de cet article
IRD éditions, « interactions des océans tropicaux avec l’atmosphère »
Impacts d’El Nino sur le climat européen (en anglais)
https://books.openedition.org/irdeditions/25562
https://www.aoml.noaa.gov/ftp/pub/phod/sklee/articles/enso/cai_etal_2014_ncc.pdf