Canicule précoce en Espagne : quels risques pour la France ?
L'Espagne et les pays du Maghreb vont subir cette semaine une vague de chaleur exceptionnelle pour un mois d'avril. Ce phénomène fait suite à un premier coup de chaud observé il y a 10 jours, dans un contexte de sécheresse hivernale criante. Cette vague de chaleur va-t-elle remonter jusqu'en France, et faut-il y voir un lien avec l'été à venir, comme l'année dernière ?
Alors que 2022 a été l'année la plus chaude observée en Espagne depuis le début des relevés, ce mois d'avril pourrait être l'un des plus chauds jamais enregistrés. Phénomène encore plus préoccupant, ces fortes chaleurs interviennent dans un contexte de sécheresse persistante depuis l'hiver, ce qui accentue l'évaporation des sols et de la végétation. Alors que des pluies hivernales avaient permis de remplir partiellement les barrages, la situation se dégrade également au Maghreb.
Dans ce contexte, les prochains mois s'annoncent très compliqués, notamment concernant la production agricole et la ressource en eau.
Canicule en Espagne : de l'air chaud remonte d'Afrique © La Chaîne Météo
Records possibles et situation historique
À la mi-avril, de fortes chaleurs avaient déjà concerné l'Espagne, avec des valeurs proches de 30°C jusqu'en Catalogne, et des pointes locales à 36°C en Andalousie. Après un rafraichissement le week-end dernier, les températures repartent à la hausse ces prochains jours et culmineront jeudi et vendredi. Les températures vont flirter avec les records pour un mois d'avril qui datent de 2011 : il avait fait jusqu'à 39°C à Orihuela, dans la province d'Alicante. De telles valeurs seront probablement approchées en fin de semaine, mais pas forcément battues. En revanche, d'autres records pourraient être battus, tels ceux de Séville (35,4°C le 30 avril 1997) et de Cordoue (34°C en avril 2017), où les températures pourraient atteindre 37°C, avec des pointes locales à 39°C, une situation inédite. Cette vague de chaleur est digne du plein été avec des températures que l'on pourrait trouver en fin juin.
Canicule précoce en Espagne : vers des records © La Chaîne Météo
Une sécheresse extrême liée à plusieurs paramètres
Cette canicule intervient dans un contexte de sécheresse qui touche l'Espagne depuis l'hiver, en particulier la façade est et sud-est du pays, qui n'a connu que la moitié des précipitations habituelles. Le nord-ouest et le Portugal ont été moins secs pendant l'hiver, la situation hydrologique y est donc moins préoccupante. Les neiges ont également été peu conséquentes en montagne, ce qui limite l'apport d'eau lors de la fonte. Ces facteurs constituent un cercle vicieux, avec une chaleur qui va encore accentuer l'évapotranspiration.
Dans ce contexte, la sécheresse risque de faire perdre à l'Espagne au moins 50% des rendements en céréales sur 60% du territoire. Les dommages seraient même évalués de 60 à 80% tandis que 3,5 millions d'hectares de cultures seraient déjà définitivement perdus. Selon la météorologie espagnole, l'indice de sévérité de la sécheresse est actuellement le pire depuis 1960 pour cette période de l'année, plus grave qu'en 2011. Les lacs réservoirs ne sont plus qu'à 26% de leur capacité, et parfois moins car aucune pluie significative n'est tombée, sur l'est et le sud-est du pays, depuis 32 mois consécutifs. Et l'Espagne n'est pas le seul pays touché.
Le Maghreb également touché de plein fouet
Les pays d'Afrique du Nord, en particulier le Maroc, ont déjà connu des pics de chaleur précoces avec 39°C à Agadir le 30 mars. La Tunisie a cruellement manqué d'eau cet hiver et la situation de sécheresse est extrêmement tendue, faisant craindre de grandes difficultés pour les cultures et l'eau potable cet été. En Algérie, les pluies et fortes chutes de neige qui ont permis de remplir partiellement les barrages cet hiver ont été soumises au temps chaud et sec de ces dernières semaines, ce qui a entrainé une baisse des niveaux d'eau. Comme en Espagne, ces pays vont subir une canicule cette semaine, avec de probables records (proches de 40°C pour le Maroc et de 38°C pour le nord de l'Algérie), ce qui va accentuer l'assèchement des sols et l'évaporation.
Des températures caniculaires jusqu'au prochain week-end
En Espagne, les températures caniculaires vont persister jusqu'à vendredi, avant de baisser grâce aux orages qui éclateront sur le nord du pays pendant le week-end, mais n'apporteront qu'un arrosage sur les Pyrénées et la Catalogne, et rien sur le sud du pays. À noter que les pluies d'orage, souvent intenses, ruissellent sur les sols durcis par la sécheresse, au risque de provoquer des crues éclairs, mais sont incapables de s'infiltrer dans le sol et de résoudre la problématique de la sécheresse. On peut donc malheureusement penser que le mal est fait.
Plus au sud, les fortes chaleurs et la sécheresse vont persister sur les pays du Maghreb.
Cette vague de chaleur va-t-elle remonter jusqu'en France ?
La vague de chaleur actuelle ne va pas concerner la France. Elle provoquera néanmoins un bref coup de chaud au sud de la Garonne jeudi et vendredi, avec des pointes locales à 28°C, ce qui sera 8°C au-dessus des normales, mais loin des records, qui sont de 30 à 32°C au pays basque. Les coups de chaud de ce type ne sont pas inhabituels au sud-ouest fin avril. Ainsi, ce week-end, sous l'effet d'un vent frais venant de l'Atlantique Nord, la vague de chaleur espagnole va rebrousser avec une dégradation orageuse.
La question peut aussi se poser pour l'été. En effet, la survenue précoce de cette canicule espagnole, liée à l'extension d'un "dôme de chaleur" remontant d'Afrique du Nord, rappelle la situation de l'année dernière, où les vagues de chaleur sont remontées à plusieurs reprises sur notre pays, provoquant plusieurs canicules. Mais en météo, il n'y a pas de corrélation aussi directe. Une vague de chaleur précoce en Espagne ne signifie aucunement un été caniculaire en France. Cela dépend avant tout des flux d'altitude. L'été dernier, les vagues de chaleur étaient pilotées par la récurrence des "pompes à chaleur", ces dépressions qui tournaient au large du Portugal et faisaient remonter les vents du sud jusqu'en Bretagne. Mais cet été, si les vents dominants viennent de l'Atlantique, cela peut nous mettre à l'abri d'une surchauffe. De plus, si l'été est orageux, comme le laissent entrevoir nos prévisions saisonnières, les pluies pourraient permettre de maintenir une relative humidité des sols et atténuer les vagues de chaleur.
Si ces prévisions pour notre pays demandent à être confirmées dans les prochaines semaines, ce qui semble acquis pour l'Espagne et le Maghreb est que les mois à venir s'annoncent d'ores-et-déjà très compliqués concernant les ressources en eau, et la production agricole. D'autant plus que dans quelques semaines, un paramètre va venir s'ajouter à cette situation déjà critique : les vacances d'été, et l'arrivée en masse de touristes à cette époque de l'année.