Sécheresse : une situation déjà préoccupante à 4 mois de l'été
Après une année 2022 qui a été la deuxième plus sèche depuis 1959, avec une sécheresse des sols exceptionnelle au cours de l’été et plusieurs périodes de canicule, 2023 ne débute pas sous les meilleurs auspices. Analyse de la situation hydrologique actuelle avec Cyrille Duchesne.
La Chaîne Météo : Après une sécheresse de surface exceptionnelle en 2022, la situation s’est-elle améliorée ?
Cyrille Duchesne : Rappelons que la sécheresse de surface correspond à un déficit important de l’eau contenu dans la partie superficielle du sol (moins d’un mètre). Les données que nous fournissent l’Agence Européenne Copernicus montrent que le contenu en eau des sols superficiels a battu des records de niveau bas entre la mi-juillet et le début du mois de septembre.
Evolution du contenu en eau des sols © La Chaîne Météo
La situation s’est améliorée au cours de l’automne avec le retour de conditions météo plus perturbées, notamment entre novembre et décembre, ce qui a permis un retour à la normale du contenu en eau des sols sur une grande partie du pays. Cela n’a pas été le cas pour l’Occitanie et plus particulièrement le Roussillon qui est resté à l’écart des perturbations.
Anomalie du contenu en eau des sols © La Chaîne Météo
Depuis la mi-janvier, la situation se dégrade à nouveau en lien avec des anticyclones récurrents et la quasi-absence de précipitations. Au 4 février, le contenu en eau des sols était déjà nettement inférieur à la moyenne observée sur la période 1959-2022. Cette situation déjà préoccupante n’a pas cependant pas trop de conséquence, puisque la saison végétative n’a pas encore débuté et que les besoins en eau des plantes sont limités à cette période de l’année.
Anomalie du contenu en eau des sols © La Chaîne Météo
Au 4 février, on voit que la sécheresse des sols est particulièrement marquée sur les régions bordant la Méditerranée. Janvier a été particulièrement sec, avec seulement 1,6 mm de pluie à Marignane(13) pour une moyenne de 47 millimètres ! Les sols sont aussi très secs sur la partie est de l’Auvergne, ce qui n’est pas commun à cette époque de l’année. Il n’est tombé que 23 mm au Puy-en-Velay en janvier pour une moyenne de 39 mm. Dans le Puy-de-Dôme, certaines sources d’eau potable sont quasiment à sec. Une dizaine de communes sont obligées de se faire ravitailler par des camions-citernes.
Les précipitations de cet hiver sont-elles suffisantes pour remplir nos nappes phréatiques ?
Le BRGM, dans son dernier bulletin de situation hydrologique du mois de janvier, nous alertait d’une situation préoccupante. Les recharges des nappes phréatiques entre octobre et décembre sont restées très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés au cours de l’année 2022 durant laquelle les étiages (niveaux les plus bas) ont été très sévères. Au mois de janvier, les précipitations sont restées légèrement déficitaires (-5%), avec d’importantes disparités régionales. Les régions proches de la Manche et le sud de la Nouvelle-Aquitaine ont profité d’un excédent pluviométrique important. Ailleurs, les précipitations étaient souvent proches de la moyenne, excepté dans le sud-est où les précipitations sont restées rares. La fin du mois de janvier et notre première quinzaine de février sont marqués par une absence de précipitations en lien avec un blocage anticyclonique durable. La situation risque donc de s’aggraver.
Etat des nappes phréatiques au 8 février © La Chaîne Météo
Au 8 février, le portail info-sécheresse indiquait que 68% des nappes phréatiques présentaient des niveaux inférieurs à la normale, 19% des niveaux proches des normales et seulement 13% des niveaux excédentaires.
Niveau des nappes phréatiques au 8 février © La Chaîne Météo
Le printemps météorologique (mars-avril-mai) débute le 1er mars. Doit-on s’attendre, comme en 2022, à un printemps extrêmement sec et doux ?
Pour pallier une situation hydrologique préoccupante à la fin de notre hiver météorologique, il nous faudrait un printemps très humide avec une bonne recharge des nappes jusqu’en avril. A partir de mai, les précipitations servent surtout à la croissance de la végétation et ne sont pas « efficaces » pour les nappes, d’autant plus si des vagues de chaleur se produisent de manière précoce comme ce fut le cas en 2022.
Nos prévisions saisonnières ne prévoient pas d’amélioration notable pour le printemps avec une pluviométrie proche de la normale ou légèrement déficitaire. Si le mois de mars pourrait renouer avec un temps plus humide et avril être à nouveau sous l’influence de conditions anticycloniques durables, le mois de mai serait dominé par une météo souvent instable avec des averses orageuses ne permettant pas la recharge des nappes phréatiques.
Dans un contexte de changement climatique et le retour probable d’El Nino, faut-il craindre une pénurie d’eau plus importante qu’en 2022 l’été prochain ?
La sécheresse de 2022, après un hiver trop sec, s’est traduite par de nombreuses restrictions d’eau lors de la saison estivale. Certaines sont toujours en cours en plein cœur de l’hiver pour l’Isère et les Pyrénées-Orientales. Cette situation témoigne d’une situation tendue malgré les besoins en eau nettement moins importants à cette époque de l’année.
Restrictions d'eau au 9 février © La Chaîne Météo
Dans un contexte de changement climatique, la fréquence des vagues de chaleur et le risque de canicule augmente, ce qui impacte le bilan hydrologique. Des températures plus élevées entraînent une évapotranspiration des plantes et un assèchement des sols plus importants. Les besoins en eau sont accrus alors que les réserves ont du mal à se reconstituer en hiver. Après un hiver trop peu pluvieux, un été 2023 chaud et sec serait encore plus problématique que l’été dernier avec des réserves hydrologiques encore plus faibles qu’en 2022 qui aboutiraient à des tensions importantes pour les différents utilisateurs (agriculteurs, industriels, touristes…).
Le phénomène El Nino, qui devrait se mettre en place pour l’été prochain, pourrait favoriser de surcroît le risque de vagues de chaleur.
La sécheresse qui s’installe dès ce mois de février est donc préoccupante, après une année 2022 déjà exceptionnellement sèche. Le printemps qui s’annonce dans les normales en termes de pluviométrie ne parviendra pas à inverser la tendance… Le risque d’avoir des restrictions d’eau généralisées et plus sévères qu’en 2022 est important.